L'organisation maltraitante ? Octobre 2009

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
01 octobre 2009

Luc Peillon, de Libération, a recueilli le témoignage de Michèle, cinquante-neuf ans, infirmière en gériatrie : «lorsque j’ai commencé au service gériatrie, nous étions deux infirmières et six aides-soignantes pour quarante patients. Depuis la création des pôles, il y a deux ans, je suis seule avec quatre aides-soignantes pour trente-cinq patients. Je suis seule car, lorsque nous sommes deux, ma collègue ou moi sommes envoyées dans un autre établissement. Devoir changer du jour au lendemain de service, avec des patients que l’on ne connaît pas, est très déstabilisant. Beaucoup ont la maladie d’Alzheimer et ne connaissent même plus leur nom. Vous devez vérifier l’identité des gens, parfois en regardant ce qui est inscrit sur les pyjamas, pour ne pas vous tromper dans l’attribution des médicaments. Et quand vous les retrouvez dans la salle à manger, vous ne savez plus qui est qui. Vous ne connaissez pas non plus leur pathologie. La seule aide, c’est celle de l’ordinateur. Vous faites de l’abattage, de la distribution mécanique de médicaments, alors que ce moment est censé être un instant privilégié avec le patient. Face à cette situation, l’encadrement nous dit d’« adapter notre stratégie ». Sous entendu, de gagner du temps en s’organisant mieux. Or en gériatrie, il est impossible de réduire le temps consacré aux patients, sous peine de dégrader la qualité des soins. Quand quatre aides-soignantes doivent lever, laver, habiller et faire manger trente-cinq personnes âgées, vous êtes déjà en flux tendu. Vous ne pouvez pas les bousculer. Pour les faire manger, il faut les installer, s’en occuper jusqu’à la dernière bouchée. Même donner à boire prend du temps. La conséquence, par exemple, c’est que beaucoup doivent être sous perfusion sous-cutanée la nuit pour être réhydratées, car les soignants n’ont pas pu les faire boire correctement dans la journée. Certaines fois, on n’est pas loin de la maltraitance organisée. Or ces perfusions sont prescrites par les médecins. Eux-mêmes savent donc, comme l’encadrement, à quel stade nous en sommes. J’aimais beaucoup mon travail. Mais, maintenant, lorsque je rentre le soir épuisée, je suis frustrée. J’ai le sentiment du travail mal fait, et ça, c’est terrible. Je dors mal la nuit, car je ne sais pas où je serai envoyée le lendemain. Je ne sais vraiment pas où l’on va. Mais je ne conseille à personne d’être malade aujourd’hui, et encore moins de vieillir à l’hôpital.»

Libération, 10 octobre 2009.