Etre aidant : qu’en pense un professeur de psychiatrie ?
Échos d'ailleurs
Arthur Kleinman est professeur d’anthropologie et de psychiatrie à la faculté des arts et sciences et à l’école de médecine de l’Université de Harvard (Boston, Etats-Unis). Il est aussi l’aidant principal de sa femme, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Il écrit : « prendre soin (caregiving) a peu de choses à voir avec la médecine, comme le pense le grand public ou comme la formation médicale essaie de le faire croire. La prise en soin implique des infirmières formées, des travailleurs sociaux compétents, les efforts de réhabilitation des kinésithérapeutes et des ergothérapeutes, et le travail physique éreintant des aides à domicile. Pourtant, malgré tous les efforts des aidants professionnels, le rôle d’aidant reste pour la plus grande part l’affaire de la famille et des amis, autour de la personne affligée elle-même. Nous luttons avec la famille et les amis proches pour accomplir les actes matériels qui nous soutiennent (sustain), trouver une aide pratique pour les activités de la vie quotidienne, une aide financière, un avis juridique ou religieux, un soutien émotionnel, pour trouver et retrouver du sens et une solidarité morale. Sur toutes ces activités d’aide, nous connaissons étonnamment peu de choses, bien qu’elles contribuent à définir la qualité de vie pour des millions de personnes qui souffrent ». Arthur Kleinman ajoute : « Je ne suis pas un moraliste naïf. J’ai vécu trop de demandes, de tensions, et d’échecs dans mon rôle d’aidant pour sombrer dans la sentimentalité ou l’utopie. Aider n’est pas facile. Cela consomme du temps, de l’énergie et des ressources financières. La force et la détermination sont aspirées. Les idées simples de l’efficacité et de l’espoir deviennent de grands points d’interrogation. Aider peut amplifier l’angoisse et le désespoir. Aider peut diviser le soi (self), faire émerger les conflits familiaux, séparer ceux qui aident de ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas affronter la situation. Aider est très difficile. C’est aussi beaucoup plus complexe, incertain et illimité que ne le suggèrent les modèles médicaux et infirmiers. Le cœur moral de l’aide, je ne le connais ni de ma vie professionnelle de psychiatre et d’anthropologue médical, ni de la littérature scientifique ou de mes propres recherches, mais en premier lieu de ma nouvelle vie de pratique en tant qu’aidant principal ».
Féru de culture asiatique, Arthur Kleinman est aussi directeur du Centre Asie de l’Université de Harvard. Il écrit : « dans l’ancienne perception chinoise, nous ne naissons pas complètement humains, mais nous le devenons seulement lorsque nous nous cultivons nous-mêmes et lorsque nous cultivons les relations avec les autres, dans un monde menaçant où souvent tout va mal et où ce que nous pouvons maîtriser est très limité. Si cette proposition est vraie, alors être aidant est l’une de ces relations et pratiques de culture de soi (self-cultivation) qui nous rend plus humains, malgré nos limites et nos échecs.
Harvard Magazine, juillet-août 2010.