« Fondé sur des preuves scientifiques »
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Mois après mois, nous observons la même courbe, la même tendance à long terme : non point hélas ! Dans les laboratoires où des milliers de chercheurs, à travers le monde, s’efforcent de découvrir LA molécule (à supposer qu’elle existe…), mais dans les esprits des centaines de milliers d’hommes et de femmes, personnes malades, aidants, soignants, médecins, qui affrontent chaque jour la Gorgone qu’on appelle Alzheimer : un nouveau regard, une nouvelle prise de conscience… Il ne s’agit plus seulement de veiller à ce que telle ou telle pilule soit prise à la bonne heure ou à la bonne dose, de donner des soins, avec tout ce que cela comporte de dévouement et de compétence, mais de considérer enfin, et de plus en plus finement, que chacun des acteurs du drame est UNE personne, avec ses problèmes, son histoire et que cette révolution silencieuse impose un double impératif : se demander toujours si une intervention psycho-sociale bien adaptée n’obtiendra pas davantage (ou autant) de résultats qu’une thérapeutique médicamenteuse ; se fixer des règles éthiques qui traduisent cette vision d’un rapport plus humain avec l’autre.
« Rien de tout cela n’est scientifiquement prouvé », ont longtemps murmuré certains tenants d’une tradition pure et dure. Ils ne peuvent plus, aujourd’hui, l’affirmer avec autant de certitude : d’importants travaux confirment désormais la validité des interventions psycho-sociales (et la Fondation Médéric Alzheimer leur apporte, toutes les fois qu’elle le peut, son aide financière et médiatique).
Les premières cibles de ces interventions, ce sont bien évidemment les personnes malades elles-mêmes. Mieux encore : les personnes qui ne sont pas encore malades, qui risquent d’être un jour malades, qui craignent de l’être. Selon une méta-analyse de soixante-dix articles portant sur les facteurs de risque de démence, menée par un panel de onze experts épidémiologistes britanniques et suédois, il existe un niveau de preuve élevé pour l’effet protecteur d’un certain nombre d’actions à tout âge : faire de l’exercice physique, réduire l’obésité, optimiser la tension artérielle, surveiller le cholestérol, ne pas fumer. L’impact a été estimé par modélisation mathématique : il serait de 15 à 20% pour une personne ayant le style de vie le plus favorable et diminuerait de 2% par an le taux de prévalence de la maladie (www.alzheimers.org.uk, mars 2010).
Dans cet esprit, l’Institut de recherches en neuro-sciences de l’Université de Californie a lancé un programme de prévention personnalisé, à base – tout justement – de régime alimentaire, de jeux cognitifs, de thérapie musicale et d’interactions sociales (www.alzheimer.over-blog.fr, avril 2010).
Pour les personnes qui ont franchi le seuil de la maladie, l’équipe de Rose-Marie Dröes, du Centre Alzheimer de l’Université libre d’Amsterdam (mention spéciale au prix mondial 2010 Alzheimer Disease International-Fondation Médéric Alzheimer) a mené une méta-analyse de la littérature scientifique publiée entre 1990 et 2008 : soixante-et-onze études montrent des résultats positifs des interventions psychosociales en termes de réduction de la dépression et des troubles du comportement, corrélés avec le sexe, le type et la sévérité de la démence, le niveau des troubles et la situation de vie (domicile ou institution) (Ageing Res Rev, Van Mierlo LD et al, avril 2010).
Une équipe de l’Institut de recherche sur le vieillissement Charles E. Smith Life Communities de Rockville (Maryland, USA) a mesuré la réponse aux stimulations cognitives sur un large panel comportant tous les degrés de dégradation induits par la maladie. La compréhension des relations entre le type de stimulation, les capacités cognitives restantes, le niveau d’acceptation ou d’attention peuvent permettre de maximiser l’effet désiré pour la personne malade (Am J Geriatr Psychiatry, avril 2010).
Les chercheurs en santé mentale et psychologie clinique de l’University College de Londres ont, de leur côté, évalué l’efficacité de ces méthodes sur trois groupes séparés : les personnes malades, le personnel soignant et les aidants familiaux. Les résultats serviront à l’amélioration du programme et seront ensuite vérifiés par un essai contrôlé randomisé (25ème Conférence d’Alzheimer’s Disease International, Salonique, Streater et al, 10-13 mars 2010).
L’école de psychologie de l’Université d’Exeter (Royaume Uni) a, elle, mesuré l’effet des activités de réminiscence, individuelles ou en groupe, auprès de soixante-treize personnes âgées vivant en établissement, à partir d’un cadre d’analyse théorique fondé sur l’identité sociale (appartenance à un groupe). L’étude démontre que le rappel collectif des souvenirs du passé améliore la performance de la mémoire et que l’engagement dans une activité sociale partagée accroît le bien-être des résidents (Psychol Aging, Haslam et al, mars 2010 ; Alzheimer Europe Newsletter, mars 2010).
Il suffit parfois d’un regard. Le second colloque international sur les approches non médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer, intitulé « prendre soin et milieux de vie », a mis l’accent sur les approches soignantes centrées sur la recherche de la relation de confiance, les médiations par l’animal, l’art-thérapie. La plupart des interventions ont eu comme vecteur commun le regard et son pouvoir thérapeutique, en association avec le toucher et la parole (Soins Gérontologie, S Rivallan-Decayeux, mars-avril 2010).
On sait que Mary Mittelman a conçu, à l’Université de New York, un programme d’intervention psychosociale auprès des aidants familiaux (prix mondial 2009 Alzheimer’s Disease International-Fondation Médéric Alzheimer de la meilleure intervention psychosociale fondée sur des preuves scientifiques dans le domaine de la démence). L’équipe de Myra Vernooij-Dassen, du Centre médical de l’Université de Nimègue, a mis en place un tel programme aux Pays-Bas et en a évalué les effets auprès des familles. Elle a constaté l’existence d’un certain nombre de freins ou d’obstacles, notamment le refus d’aide opposé par de nombreux aidants. Elle préconise des stratégies de clarification du rôle de chacun, en reconnaissant aux aidants le besoin de garder le contrôle de certaines situations et en leur faisant prendre conscience des options alternatives d’accompagnement (Int Psychogeriatr, Vernooij-Dassen M, Joling K, Van Hout H et Mittelman MS, 15 mars).
C’est qu’en effet l’amélioration de la relation aidant/aidé induit le plus souvent une réduction de la dépression et des comportements agressifs chez la personne malade, ainsi que du fardeau de l’aidant. Le centre médical des anciens combattants de Houston (Texas, USA) a mesuré la qualité de cette relation à l’aide d’une échelle de « mutualité » (mutual scale) auprès de cent soixante-et-onze couples. Elle en a évalué les effets en termes de dépression, psychose, douleur, stimulation sociale, agressivité (J Geriatr Psychiatr Neurol, Ball V et al, 16 mars).
La Haute autorité de santé (HAS) recommande du reste, dans le cadre de la mesure 3 du Plan Alzheimer, un suivi médical des aidants naturels, dont il convient d’évaluer chaque année l’état psychique, l’état nutritionnel et le degré d’autonomie. Si nécessaire, le médecin peut leur proposer des interventions psychosociales du type : psycho-éducation individuelle ou en groupe, groupe de soutien avec d’autres aidants, support téléphonique et par Internet, cours de formation sur la maladie, psychothérapie individuelle ou familiale (APM International, 1er avril ; Haute autorité de santé, février-mars 2010).