Interpellés...
Édito
« La personne atteinte de la maladie d’Alzheimer « questionne, appelle à des pratiques différentes », constate Marie-Jo Guisset-Martinez, responsable du pôle Initiatives locales de la Fondation Médéric Alzheimer. « Dedans, dehors, la maladie, les malades interpellent l’éthique, l’échange, l’entraide. Ils bousculent les espaces », affirme la directrice, Michèle Frémontier (www.agevillage.com, 1er décembre 2009, www.fondation-mederic-alzheimer.com, 24 novembre 2009).
La nouveauté, c’est peut-être, justement, que de plus en plus d’acteurs ou d’observateurs prennent aujourd’hui conscience de ce grand chambardement qui prélude, espérons-le, à un nouvel effort de tous et de chacun pour un mieux vivre des personnes malades.
Cela commence, bien sûr, dans le regard des scientifiques. La fiabilité des techniques de diagnostic est mise en doute. La présence des biomarqueurs n’est ni nécessaire ni suffisante pour diagnostiquer la maladie avec certitude. Une étude internationale, coordonnée par un professeur de médecine de l’Université de Californie, repère des personnes atteintes mais sans présence de biomarqueurs spécifiques ; il n’existe pas de valeurs seuil permettant de discriminer à 100% les personnes malades des témoins sains. Le diagnostic clinique, tant médical que fonctionnel, doit rester le critère d’évaluation principal (La Revue de Gériatrie, 8 octobre 2009 ; www.adni-info.org, 30 novembre 2009). Un nouveau système d’évaluation québécois, aujourd’hui en phase de test en Dordogne, permet de mesurer en vingt minutes l’autonomie fonctionnelle de la personne malade, ce qui met l’accent sur ses capacités restantes, plutôt que sur ses pertes d’autonomie (www.agevillagepro.com, 2 novembre 2009).
Ce haut niveau d’incertitude ne peut que légitimer une certaine prudence thérapeutique. Le professeur Degos, président du Collège de la Haute Autorité de santé (HAS) et Florence Lustman, Inspecteur général des Finances en charge du Plan Alzheimer, ont ainsi dressé un bilan contrasté de la prescription de neuroleptiques dans le cadre de la maladie d’Alzheimer. Benoît Lavallart, chargé de mission Alzheimer, quant à lui, rappelle que le faible gain en terme d’amélioration des troubles du comportement est contrebalancé par la survenue de complications. Même constat en Angleterre sous la plume du Professeur Banerjee, co-responsable du plan stratégique anglais sur la démence (www.agevillage.com, 15 et 29 novembre 2009 ; Haute Autorité de santé, mai 2009).
« La solution, dit le Professeur Degos, ce n’est pas toujours le médicament, mais bien plus l’apaisement des patients par des moyens comportementaux ». En Grande Bretagne, le nouveau programme national EVIDEM (Evidence-based Interventions in Dementia) vise à recenser les interventions psychosociales scientifiquement fondées auprès de personnes atteintes de démence et vivant à domicile, depuis les premiers signes jusqu’à la fin de vie (www.scie.org.uk, www.evidem.org.uk, 24 novembre 2009). En France, le gérontopôle de Dijon a engagé une étude multifactorielle sur les troubles de la nutrition et ceux de la mobilité, qui débouche sur des dynamiques originales de prévention et de soin, passant par des programmes d’activité physique et de réadaptation adaptée, mais aussi de « reconditionnement moteur par stimulation mentale » (www.dijon-developpement.com, novembre 2009).
Un tel changement de regard ne peut qu’aller de pair avec un renouveau de la réflexion juridico-politique, voire éthique ou, risquons le mot, philosophique.
Et si la première approche non médicamenteuse était la reconnaissance de la citoyenneté des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ? S’interroge la directrice d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (www.agevillagepro.com, 17 novembre 2009). « Etre atteint de la maladie d’Alzheimer ne fait pas de la personne un citoyen de seconde zone ». Partant de cette affirmation, la Fondation Médéric Alzheimer a lancé, début 2009, une enquête nationale sur les droits de ces malades. Il apparaît que les droits et libertés de la personne accueillie ne sont que fort imparfaitement respectés, en particulier en ce qui concerne la recommandation de chercher à recueillir son « consentement », ou de construire avec elle un « projet personnalisé ». (Actualités sociales hebdomadaires, 9 et 27 novembre 2009 ; La Lettre de l’Observatoire des dispositifs de prise en charge et d’accompagnement de la maladie d’Alzheimer, octobre 2009).
Le moment vient aussi où la pratique tend à démontrer que la loi de 2002 sur les droits des malades et la loi de 2007 sur la réforme de la tutelle n’ont peut-être pas suffisamment éclairé la question de la décision médicale du majeur protégé. Consent-il seul oui doit-il obtenir le consentement de son tuteur ? peut-il décider seul, s’il dispose d’un discernement suffisant, de demander l’arrêt d’un traitement, quitte à mettre sa vie en danger ? (Revue de droit sanitaire et social, septembre octobre 2009).
En Californie, un service privé de soutien à domicile a installé une webcam dans la pièce à vivre de personnes atteintes de troubles cognitifs pour dialoguer à distance avec elles et, par exemple, détecter si elles n’oublient pas de prendre leurs repas. Dans un pays où le respect des libertés individuelles et de la privacy est défendu par des lois très restrictives, a été admis que le besoin de se nourrir correctement prime sur le besoin de vie privée (Gérontologie sans frontières, 15 octobre). En France cependant les équipes de chercheurs qui sont en train de mettre au point un robot social assistant, associant un système de télévigilance mobile avec un système de stimulation cognitive destiné aux personnes âgées souffrant de troubles cognitifs, se posent la question de son acceptabilité (www.quovadis.ibisc.univ-evry.fr, www.gerontechologie.net, 23 novembre 2009).
Nora Berra, secrétaire d’Etat aux Aînés a, semble-t-il, trouvé les mots justes pour évoquer la mince frontière à travers laquelle la Loi et la réflexion éthique entretiennent un fragile dialogue. La maltraitance, dit-elle, et c’est bien sûr un délit, « agit par la parole qui nie l’autre, par le sous entendu, le dit et le non dit ». Oeuvrer pour la bientraitance, c’est « assumer la part de fragilité qui existe en chacun de nous (…). C’est un miroir sans complaisance qu’il faut se tendre à soi-même avant de le tendre aux autres (…). C’est aussi accepter intimement de regarder son propre vieillissement en face. » (Le Monde, 26 novembre 2009).
Il faut, pour ce faire, savoir s’extraire de la « gangue du réel », qui conduit aux gestes automatiques et aux paroles stéréotypées. Résister à la tentation de faire de cet autre un « Tout-Autre » et accepter de ne plus comprendre, mais simplement de se laisser interpeller et toucher. Seule la « vigilance éthique », nous rappelle la directrice d’une maison d’accueil spécialisée, assurera le maintien de la personne en grande vulnérabilité dans la communauté des humains (Actualités sociales hebdomadaires, article de Caroline Helfter, 20 novembre). Le philosophe Luc Ferry plaide ainsi « pour un droit absolu des êtres humains à l’hétéronomie, à la dépendance et à la faiblesse même des plus extrêmes » (Le Figaro, www.genethique.org, 26 novembre 2009).
C’est Marie Gendron, fondatrice du concept de répit à domicile Baluchon Alzheimer au Quebec, qui a écrit les paroles d’une chanson chantée aujourd’hui par le chanteur belge Julos Beaucarne : « J’aime ces gens étranges /Qui me montrent du doigt » /Les immenses trous noirs/ Que j’ai au fond de moi/Ils sont le grand miroir/ De mes désirs enfouis » (www.alzheimer24.canalblog.com, 19 novembre 2009). Notre vieil ami, Richard Taylor, qui continue à tenir, chaque mois, son blog, leur fait écho : « Un sens emplit la vie qui reste à vivre (…) Il y a toujours des chansons à chanter, des personnes à rencontrer et un besoin de choses à apprécier » (Alzheimer’s from the inside out, novembre 2009).
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole