Le temps de la modestie
Édito
Le grand mouvement d’interrogation sur des certitudes qui paraissaient presque acquises semble aujourd’hui prendre une nouvelle ampleur. On s’interroge sur l’efficacité des médicaments : une étude américaine démontre, par exemple, l’échec thérapeutique du tarenflurbil (www.newswise.com, 15 décembre 2009 ; JAMA, 16 décembre 2009). On s’interroge sur l’opportunité d’un diagnostic précoce (www.liberation.fr, 15 décembre 2009). On s’interroge sur les vraies raisons qui conduisent au placement en institution et l’on constate que le trouble de la relation personne malade/entourage est un facteur prédictif plus décisif que la maladie elle-même (Vecteursanté, novembre 2009 ; INSERM U558, septembre 2007). On s’interroge même sur la définition de la dépendance et l’on s’aperçoit que les différents acteurs de la filière, services sociaux des départements, des mairies, des établissements, compagnies d’assurances, ne donnent pas tous le même sens au même mot (Le Monde, 5 décembre 2009).
Devant cette vague d’incertitude, la prudence s’impose. On se réfugie dans le pragmatique : qui va payer et combien ? On choisit les techniques modestes qui obtiennent des résultats limités mais certains : les interventions psycho-sociales. On se pose les questions de fond : quel sens donner à l’action que l’on mène face à la maladie ?
Pour les assureurs, le problème du financement de la dépendance est simple à résoudre : une cotisation mensuelle de treize euros par mois à partir de cinquante ans permettrait le versement d’une rente mensuelle de cinq cents euros en cas de dépendance lourde. L’accès au dispositif de prise en charge de la perte d’autonomie devrait être un droit pour chacun. Un accord sur des objectifs et des définitions partagées serait essentiel pour créer un partenariat public-privé efficace (Assurer, 23 décembre 2009; Le Monde, 5 décembre 2009 ; AFP, Google, 19 décembre 2009). Les professionnels de la ré-assurance proposent, eux, un modèle de couverture dépendance universelle reposant sur six principes : la dépendance est un risque assurable qui peut être pris en charge par le marché ; la couverture n’a pas vocation à être obligatoire ; la prise en charge publique doit cibler les personnes non solvables ; en guise de mécanisme incitatif, les cotisations d’assurance dépendance seraient versées en franchise des prélèvements fiscaux et sociaux ; ceux qui feraient le choix de ne pas s’assurer seraient pénalisés par un mécanisme de reprise sur l’héritage ; seule la dépendance lourde aurait vocation à être prise en charge (Les Echos et AFP, 8 décembre 2009; www.localtis.info, 11 décembre 2009; fr.reuters.com, 18 décembre 2009). L’Etat pour les pauvres, l’assurance pour les autres ? s’interroge Agevillage (14 décembre 2009).
Il n’est sans doute pas très étonnant que les organismes de prévoyance ne se situent pas exactement sur la même longueur d’onde. S’ils sont, eux aussi, partisans d’un partenariat public-privé, ils proposent de renforcer la solidarité nationale par un financement associant actifs et retraités et réclament surtout, à l’inverse des assureurs, la mise en place d’un contrat dépendance obligatoire (Le Monde, 5 décembre 2009).
Le gouvernement n’a pas encore fixé sa position : un grand «débat public » est prévu cette année, un groupe de travail technique doit se réunir dans les prochaines semaines. Le ministre des Relations sociales Xavier Darcos propose le transfert d’une partie de l’assurance vie en assurance dépendance sans prélèvements fiscaux. Le secrétaire général de l’UMP Xavier Bertrand évoque l’instauration d’une deuxième journée de solidarité, un prélèvement sur les jeux de hasard et une participation du patrimoine des personnes âgées (Assurer, 23 décembre 2009).
Agir modeste, se replier sur les techniques qui ont fait leurs preuves : voilà une stratégie qui séduit aujourd’hui nombre d’acteurs de la lutte contre la maladie d’Alzheimer.
Un groupe d’experts britanniques souligne l’intérêt des interventions psycho-sociales privilégiant la prise en charge à domicile des symptômes comportementaux et psychologiques, le soutien aux aidants, une approche structurée de la gestion des cas (Int J Geriatr Psychiatry, 27 novembre 2009). Des économistes de la santé de l’Université de Leeds (Grande Bretagne) préconisent pour les aidants familiaux des approches non pharmacologiques, notamment la musicothérapie, le massage de la main ou le toucher léger, l’activité physique (ibid.). Des chercheurs de l’Université du Danemark du Sud ont calculé les coûts d’une intervention multidimensionnelle de sept mois comportant conseil, formation et information. Ils concluent que le risque principal est celui d’un surcoût pour les familles (BMC Health Serv Res, 25 novembre 2009).
Ce goût de la modestie conduit parfois à retrouver le sens de vieilles pratiques ou de rites, trop souvent oubliés : l’association Confluences a coordonné une recherche sur les vertus de séances de contes auprès de cent cinquante personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées. On a constaté après chaque séance une diminution de la dépression, de l’agitation, de l’agressivité, un retour de l’appétit (La Gazette Santé Social, décembre 2009).
Dans le même esprit, une unité de soins de longue durée (USLD) tente de « créer un projet de vie qui tienne compte de la recherche du plaisir des patients dans le déroulement de la vie quotidienne ». Le projet de soin doit être adapté au ressenti de la personne dans le but de conserver l’envie, le plaisir de vivre malgré la démence sévère. « Ce qui compte pour tous, c’est de partir des personnes, de leur situation, de leurs désirs ou non », explique Florence Leduc, présidente de l’association française des aidants (www.agevillagepro.com, 14 décembre 2009). Des chercheurs suédois se situent dans la même perspective lorsqu’ils soulignent la nécessité de comprendre la « vision de la vie » (view of life) des personnes malades, c’est-à-dire leur conception de la réalité, leur système de valeurs, leur attitude émotionnelle de base (Dementia, novembre 2009).
Les méthodes de stimulation cognitive, pratiquées notamment à l’hôpital Broca de Paris, s’appuient sur l’idée que les personnes âgées, même atteintes de troubles cognitifs, seraient capables d’améliorer leurs performances, après entraînement de leurs ressources cognitives résiduelles, en mobilisant la plasticité neuronale. Le programme pourrait même être proposé à domicile, grâce à un logiciel comportant des exercices conçus pour renforcer les automatismes et ralentir le désapprentissage, qui stimulent l’attention et la concentration, la mémoire épisodique et sémantique, la logique, l’abstraction, le langage, les fonctions exécutives (www.gerontechnologie.net, 14 décembre 2009).
Ce retour à la modestie s’appuie sur toute une réflexion éthique qui affirme, selon la belle expression d’Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, « le devoir de résistance face aux tentations du renoncement et de la négligence, les principes de respect et d’attention, une position de vigilance et de bienfaisance, une attitude de rigueur, de retenue et de considération ». Il s’agit, rappelle Marcel Baudy, directeur de soins dans un hôpital, de satisfaire, « par les gestes, les attitudes, les paroles (…) les besoins affectifs et relationnels du patient et son besoin d’autonomie, en évitant tout comportement infantilisant ». C’est ainsi, par exemple, que l’attitude du soignant face au refus de nourriture ne se résout pas nécessairement par la pose d’une sonde gastrique, mais en verbalisant les questionnements éthiques (Soins Gérontologie, novembre décembre 2009).
Une telle réflexion s’élargit désormais à la planète tout entière. Pour Serguei Zelenev, responsable de l’intégration sociale à l’ONU, l’augmentation du nombre de personnes âgées dans le monde survient dans un contexte hautement défavorable : crise économique, absence de système de protection dans de nombreux pays, changement radical de la structure familiale, migration massive des jeunes vers les villes laissant les plus vieux en situation d’isolement dans les campagnes. Or les personnes âgées sont absentes des principaux documents de l’ONU sur les droits de l’Homme. Un groupe d’experts est donc en train de préparer un projet de convention sur les droits des personnes âgées qui pourrait être soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies (La Revue de Gériatrie, novembre 2009).
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole