Le moment du soin. A quoi tenons-nous ?, de Frédéric Worms (1)
Société inclusive
Fabienne Brugère, dans la rubrique philosophie de www.laviedesidees.fr, se demande ce qu’exprime l’intérêt français aujourd’hui pour le concept de care, « intérêt mêlé de beaucoup d’inquiétude et d’ignorance tant il s’agit d’une pensée éthique et politique qui se détourne des rationalités utilitariste et kantienne pour s’enraciner de manière non marxiste dans le monde social et ses particularités. Il est difficile de trouver pour ce courant intellectuel une tradition de pensée, sinon dans la critique de la raison spéculative et l’analyse des nouvelles compétences confiée à l’affectivité chez les philosophes des Lumières. Trois publications récentes permettent de mieux cerner cet intérêt, sa réception en France, et sa forte portée à la fois morale, sociale et politique. Il s’agit du livre de Frédéric Worms, Le Moment du soin, à quoi tenons-nous, de celui de Marie Garrau et Alice Le Goff, Care, justice et dépendance et d’un collectif consacré à Carol Gilligan, intitulé Carol Gilligan et l’éthique du care (coordonné par Vanessa Nurock). Les trois ouvrages sont très différents. En particulier, celui de Frédéric Worms porte sur le soin et le prendre soin, et engage des discussions avec Levinas, Ricœur ou Simone Weil, l’éthique du care ne valant que comme l’un des lieux de discussion privilégié. Il n’en reste pas moins que ces livres ont en commun de concevoir la philosophie comme une étude générale des relations entre les êtres. Le fait de prendre soin, ou de pratiquer le care suppose que la relation n’est pas seulement une relation à, relation froide pourrait-on dire, mais une relation entre, relation chaude, ayant une profondeur temporelle, affective, et supposant de l’engagement personnel, de la compétence, de l’attention pour pouvoir exister comme telle. Bref, ces philosophies de la relation ne sauraient être considérées sans un préalable essentiel : introduire du sensible dans le lien social, préconiser un retour de la pensée aux vies ordinaires, repartir des pratiques individuelles et collectives telles qu’elles peuvent se déployer dans les institutions plutôt qu’analyser ces institutions comme des structures sans individus qui, pourtant, les font vivre ou les servent, et donc les modifient ». Frédéric Worms comprend le soin comme une « séquence caractéristique de notre époque. Pourquoi ? La perspective d’une philosophie sensible, qui fait la genèse des subjectivités individuelles tout en montrant les agencements dans les situations de soin, permet de porter la reconnaissance d’une humanité qui se perçoit de plus en plus à travers la vulnérabilité ».
Worms F. Le moment du soin : A quoi tenons-nous ? PUF 2010. 270p. Collection Ethique et philosophie morale. www.laviedesidees.fr, 4 octobre 2010. www.alternatives-economiques.fr, septembre 2010. www.franceculture.com, juillet 2010. www.fng.fr, juillet-août 2010.