Dignité : résister à l’abandon de l’humain
Droit des personnes malades
Pour Armelle Debru, professeur d’histoire de la médecine à l’Université Paris Descartes, membre de l’Espace éthique/AP-HP, le sentiment d’indignité « n’est pas le constat que des personnes d’une catégorie, d’un certain âge, atteintes de maladies ou isolées, sont moins considérées que d’autres, moins jugées dignes d’être honorées, plus vulnérables. La dignitas sociale, au sens romain, impliquait elle aussi des inégalités. Et les principes universels ne rendent pas les sociétés angéliques. C’est plutôt le vide, le rien. En un mot, l’indécence. Dignité sort de la même source sémantique que décence. Et toutes deux sont enracinées dans les gestes et les comportements, dans le respect concret, l’attention, la reconnaissance ». Armelle Debru illustre son propos par une photographie montrant une vieille dame devant une porte, dans un long couloir. « Qu’est-ce qui nous fait frémir en regardant l’image de ce désespoir sans nom ? » s’interroge-t-elle : « le couloir est propre et fonctionnel, on fait les gestes qu’il faut, on protège de la chute, de la dénutrition, de la saleté. On ne cherche pas à éliminer l’humanité dans ceux qui l’abritent et l’incarnent. Au contraire, on fait ce qui convient ». Et pourtant on est tout à l’opposé de la convenance, autre concept étroitement lié par son sens à dignité. La convenance est une philosophie des devoirs. Cicéron écrivait : « Toutes les actions justes sont convenables, mais les injustes au contraire, de même qu’elles sont honteuses, sont disconvenantes ». Pour Armelle Debru, « la laideur de l’inconvenance est morale et esthétique. Ne cherchons plus pourquoi cette vision furtive, que nous avons parfois en visitant nos proches, suscite en nous un sentiment de honte et de laideur. L’émotion ne trompe pas. Elle peut même faire agir et violemment. Mais elle est éphémère, s’émousse. La dignitas romaine était garantie à certains par la société. Le principe universel de la dignité est une référence incontournable. Notre dignité pratique, elle, a besoin de temps en temps de retourner aux sources de la décence et de la convenance. Pour résister à l’effritement, au doute, à l’usure, à l’agressivité. Pour remplir ses devoirs multiples et renouvelés, pour éviter la reconquête, sur les terres de l’effort, de l’abandon de l’humain ».
Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer. Actualités n°2. Décembre 2010. www.espace-ethique-alzheimer.org