Il cherchait son ailleurs
Société inclusive
Paul a exercé la profession de carrossier. Tour à tour ouvrier, petit patron, formateur, il a partagé sa vie entre la France et l’Afrique, en aventurier humble et travailleur. Il avait soixante-quinze ans lorsque le diagnostic de maladie d’Alzheimer a été posé. Il est décédé douze ans plus tard. « J’ai égaré mes lunettes. J’ai perdu mon portefeuille. J’ai oublié ma course au village. Qu’ai-je fait de ce papier ? Je ne sais plus quel jour nous sommes, ni quel mois ». Son épouse Charlotte, âgée de quatre-vingt-quatre ans, se souvient : « on imagine mal que son conjoint si maniaque, si soigneux puisse poser autant de questions négatives. Bof, on sourit… Les jours passent et l’on s’inquiète quand même un peu. On veut vous rassurer, c’est l’âge, rien de grave, un peu d’humour, un peu de patience, évitons de penser à l’impensable. La réalité arrive. Des tests vous assomment un matin. Un seul mot « Alzheimer ». Vous restez ahurie. Il y a surement exagération, erreur, cela ne peut pas vous arriver. L’homme a changé. Pourtant, il s’agit bien de l’être qui vit près de vous depuis cinquante ans. Il est là, luttant avec conscience de ses défaillances. Les neurologues, psychologues, orthophonistes, médicaments, vous rassurent, mais les angoisses s’installent ». « Toujours de l’espoir, c’est inouï », déclare Charlotte. « Des hauts biens petits, des bas douloureux, mais nous avancions. Quelques larmes parfois il faut bien le dire, cela soulage. Et puis, on découvre que son environnement est peu enclin à comprendre (votre mari est fou …). Oh, que cela fait mal, quand vous vous évertuez à le garder discret, digne et si possible … humain. On vous regarde, et les gens acceptent cette maladie d’actualité que l’on compare à la folie, il n’y a rien à expliquer, c’est ainsi… J’ai eu la chance de ne pas connaître la grande démence. Il est resté toujours attentif à mes réactions, que souvent j’adaptais à son comportement. Il était plus simple de lui dire oui, pour simplifier notre relation face à ses incohérences. Nos sentiments résistaient et survivaient malgré tout ». Charlotte exhorte : « Je dirais aujourd’hui courage à toutes ces familles d’aidants : ne lâchez pas le mot « espoir ». Il y a dans chaque acte une auréole de joie qui est là pour vous aider. Si la maladie a grignoté ma patience, j’ai découvert en moi la sérénité dont il avait tant besoin et j’ai eu une récompense immense, celle de son sourire jusqu’au bout. Je n’ai pas de regret. Je n’ai pas de remords. Pardon d’oser y croire et d’oser le dire. »
http://yzonka.com/2012/10/19/alzheimer-il-cherchait-son-ailleurs/, 19 octobre 2012.