Sexualité : quelle éthique professionnelle ? (1)
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« La maladie d’Alzheimer n’empêche pas les personnes de se rapprocher, puisque l’on sait que persistent jusqu’au bout l’émotion, le besoin de donner et de recevoir de l’amour : il n’est pas rare qu’une personne atteinte de la maladie prenne dans ses bras un soignant. Malgré l’avancée dans la maladie, la personne ne se perçoit pas comme malade ; il arrive qu’elle se pense au contraire plus jeune et qu’elle ressente le besoin de séduire. Le soignant se trouve donc dans une situation ambivalente : d’une part, la personne est heureuse ; d’autre part, subsiste cette vieille idée que « cela ne se fait pas. D’autant que l’objet de son amour n’est pas forcément consentant, et que la famille estime que ce penchant attente à la mémoire du conjoint éventuellement décédé », écrivent Boualem Bouarab, directeur des soins, Fabienne Chetaille, médecin coordonnateur, Elisabeth Ferreira, psychologue et Thierry Méret, gériatre à la résidence Orpéa de Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines), qui s’inspirent du concept d’ « éthique de terrain » prônée par l’EREMA (Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer). « S’il semble possible d’aborder sereinement la sexualité entre patients, la sexualité orientée vers les soignants demeure problématique », constate le groupe. « La vie affective et sexuelle pose la question du champ de responsabilité des professionnels : jusqu’où intervenir dans la vie privée d’une personne ? Quelle posture adopter ? Comment associer les proches ? Doit-on faire « comme si de rien n’était ? » Chaque cas, singulier, se confronte à l’histoire individuelle et à l’expérience, aux repères personnels de chacun des professionnels ». « La fonction de l’éthique ne consiste pas à affirmer ex abrupto ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire ; une démarche aussi sensible ne peut prendre vie qu’au cas par cas, d’autant que la maladie d’Alzheimer ne fournit jamais la fin de l’histoire, légitimant a posteriori la solution retenue », soulignent les professionnels. La question de la sexualité renvoie directement à celle de l’intimité : la chambre est-elle un lieu intime ? Si une pensionnaire reçoit son aimé, comment l’équipe soignante peut-elle accepter cette intimité ? Comment définir des limites tout en préservant son professionnalisme ? « Seul le travail en équipe permet d’atteindre cet objectif, car le soignant est aussi une personne dotée de sa propre affectivité, et susceptible de relations d’identification, de tendresse, de prévenance, qui se situent au-delà de l’acte de soins ».
Le Journal du médecin coordonnateur, mars-avril 2012.