Corps vieillissant, corps soignant : quelle éthique pour le toucher ?
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« Prendre soin du corps d’autrui introduit le corps soignant dans une approche tactile : ce qui est livré, à travers le corps objectif, correspond à la chair intime. Médecins comme infirmières peuvent avoir tendance à s’éloigner du corps du malade, considérant comme des activités “en plus “, voire subalternes, des tâches comme la toilette du malade ». Pour Bernard Andrieu, philosophe à la Faculté du sport de l’Université de Lorraine et Pascale Gérardin, psychologue au centre mémoire de ressources et de recherche du CHU de Nancy, « la dépendance du corps vieillissant est souvent reconnue et désignée par les soignants selon le degré, la gravité et l’intensité du soin à prodiguer ». Les soignants s’appuient sur plusieurs types de gestes (toucher intentionnel, accompagnement verbal, régulation émotionnelle), pour agir selon une éthique précise du soin. « Mais si l’action est efficace, le feedback psychologique pour le soignant est important car il ne reste pas indifférent à la dépendance » : les auteurs évoquent « un effet de co-dépendance entre les soignants et les soignés ; chacun a besoin de l’autre, chacun est bien dans une dépendance de l’un envers l’autre qui dépasse vraisemblablement et/ou va au-delà de la relation de réciprocité. » « La mise en œuvre des thérapies sur le corps de l’autre exige une promiscuité beaucoup plus grande que celle d’une simple visite médicale obligée : celle de l’intimité. L’incorporation des produits, l’imposition des gestes, la manipulation des outils, l’apposition d’artéfacts vont certes bouleverser les coordonnées traditionnelles de la représentation du corps par le sujet. Chacun a pu éprouver cette instrumentalisation de son propre corps au point de pouvoir se représenter celle d’autrui, même si, pour le corps soignant, toute la difficulté se trouve dans l’intégration de cette représentation de la souffrance de l’autre dans son mode d’action. »
Andrieu B et Gérardin P. Le corps vieillissant et les soignants : vers une co-dépendance ? Gérontologie et société 2013 ; 145 : 143-154. Juin 2013.