Jargons

Acteurs de l'écosystème Alzheimer

Date de rédaction :
11 septembre 2013

« Parler de manière obscure pour l’interlocuteur, c’est d’emblée se mettre dans la position savante du professionnel versus celle du profane », écrit Laurent Cambon, directeur d’établissement médico-social, maître de conférences associé à l’Université Paris-Est-Créteil et chercheur associé au Centre de recherche sur la diversité linguistique de la francophonie (CREDILIF) à l’Université de Rennes-2. Spécialiste de la question des identités professionnelles des travailleurs sociaux, il est allé confronter son regard au secteur gérontologique en étudiant des mémoires de futurs directeurs d’EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et en interviewant des salariés de maisons de retraite. « Le professionnalisme est bien sûr une affaire de savoir-faire, mais plus encore d’idiomes spécifiques », explique le linguiste. « La langue que je parle me permet d’être reconnu par les initiés et de rejeter celui qui ne la partage pas. Elle porte les secrets du métier, ses ficelles, ses mystères, elle colore les relations humaines, elle joue avec la norme, celle des prescripteurs et celle des employés, celle des ordonnateurs et celle des exécutants. Le processus de refabrication du langage fonctionne au travail comme un argot, du fait d’une incessante créativité dans les néologismes et les tournures de phrases. L’identité au travail se structure dans l’identification à un langage commun et dans l’expérimentation de ce langage avec son pair ou son collègue » : « ainsi leur langue devient une langue d’initiés que la formation et l’apprentissage peuvent rendre accessible. C’est ce que les linguistes appellent le sociolecte et, spécifiquement pour le monde du travail, le technolecte. » L’auteur observe une cohabitation de discours. « Les directeurs, dans leurs mémoires professionnels, se parent d’un habillage discursif très gestionnaire, centré sur la disparition efficace des manques et des dysfonctionnements » ; les salariés ont des discours plus ambivalents, axés à la fois sur la technicité et sur des valeurs familiales d’humanité et d’écoute, évocatrices d’une certaine nostalgie d’un passé jugé mieux-traitant pour les résidents. » Pour Laurent Cambon, « il serait intéressant de développer une analyse linguistique plus large dans les EHPAD, afin de mesurer si l’inflation gestionnaire et législative, qui s’empare du médico-social depuis quinze ans, a modifié le travail en soi, voire les représentations que les acteurs en ont. »

Cambon L. L’identité des professionnels d’EHPAD : une question de jargon ? Documents Cleirppa 2013 ; 51 : 9-15. Aout 2013.