Comment situer le curseur de l'anticipation ?

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Date de rédaction :
16 juillet 2013

« La maladie d’Alzheimer évolue, nous affirme-t-on, de manière lente et subreptice longtemps avant d’en déceler les premiers signes. Au point d’inciter certains médecins et chercheurs à souhaiter rendre possible sa détection la plus précoce possible, avant qu’elle ne se soit trop développée pour être ralentie dans sa progression et peut-être même, à terme, guérie », poursuit Emmanuel Hirsch. « Autant d’arguments scientifiques qui interviennent désormais pour éclairer autrement cette “volonté de savoir” non pas seulement d’un point de vue philosophique, mais comme élément stratégique impérieux dans la prévention ou le traitement de la maladie, expression même d’une forme actuelle du “souci de soi”. » « Comme pour d’autres maladies, par exemple génétiques, les personnes plus concernées, du fait d’antécédents familiaux ou de considérations qui leurs sont propres, se doivent ainsi d’arbitrer entre l’intérêt de se voir révéler un savoir fait aujourd’hui d’hypothèses et de probabilités soumises à nombre de discussions, et celui de préserver non pas une ignorance mais une certaine conception de l’existence humaine exposée par nature à des inéluctables qu’il serait à bien des égards vain de vouloir systématiquement anticiper. L’argument qui peut imposer cette conception selon laquelle savoir est préférable à douter ou à ignorer, y compris lorsque les capacités d’infléchir la fatalité d’une annonce s’avèrent à un moment donné limitatives, tient bien souvent, pour des personnes susceptibles de s’affaiblir, y compris dans leur faculté de discernement, à leurs obligations morales à l’égard de leur propre dignité et du devenir de leurs proches. » Pour Emmanuel Hirsch, « Il conviendrait en quelque sorte d’impliquer le futur dans un présent dès lors totalement conditionné par la perspective d’une maladie qui ampute progressivement la personne de ce qui lui est constitutif en tant que tel. Cela n’équivaut-il pas en fait, non pas à anticiper les conséquences de la maladie, mais à l’anticiper au point de la vivre d’emblée avant même qu’elle ne s’exprime dans ses symptômes et soumette alors aux transformations qui affectent si profondément l’identité de la personne et, d’une certaine manière, sa “présence au monde”? »

Hirsch E. Droit de savoir, devoir d’anticiper. Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer. Newsletter n°20, septembre 2013. www.espace-ethique-alzheimer.org/newsletter/newsletter20.html.