Triste été ?

Édito

Date de rédaction :
18 juillet 2012

Triste été pour la recherche médicale : presque simultanément trois laboratoires américains annoncent l’arrêt des essais cliniques en phase III (à grande échelle sur l’homme) de deux molécules qui paraissaient jusque-là donner des espoirs. L’une et l’autre ciblaient la protéine bêta-amyloïde. Mais, selon certains experts, leur intervention se situait à un stade trop tardif de l’évolution de la maladie, puisque les plaques amyloïdes commenceraient à se former dans le cerveau vingt-cinq ans avant l’apparition des premiers symptômes (www.alz.org, 24 août 2012). D’autres essais se poursuivent cependant en phase II ou III, mais les chercheurs redoutent que ces échecs n’incitent à réduire, voire arrêter les investissements lourds que nécessite la recherche sur la maladie d’Alzheimer (Wall Street Journal, 16 juillet 2012).

« La chasse au boson de Higgs-Alzheimer continue, se précipitant qui dans cette allée, qui dans ce cul-de-sac, à la recherche du traitement/de la cause/de la particule qui va retarder l’évolution de la maladie », ironise Richard Taylor, docteur en psychologie, qui vit depuis dix ans avec les symptômes de la maladie d’Alzheimer. « Un échec amer à trente millions de dollars », qui n’iront pas à la recherche psycho-sociale, regrette-t-il (Alzheimer from the inside out, juillet et août 2012).

C’est qu’en effet la maladie d’Alzheimer ne se réduit pas à un phénomène purement biologique, exclusivement justiciable d’un traitement médical. L’environnement pourrait jouer un rôle déterminant, plus important que les facteurs génétiques, dans la survenue du déficit cognitif. C’est ce que semble montrer une étude, menée par une équipe d’épidémiologistes de l’Institut Karolinska de Stockholm et portant sur onze mille jumeaux, âgés de soixante-cinq ans et plus (Journal of Alzheimer’s Disease, mars 2012).

Une chercheuse de Chicago a mesuré durant quatre ans les capacités cognitives de dix-neuf mille femmes vivant dans différentes régions des Etats-Unis. Elle a constaté que l’exposition à long terme à certaines microparticules atmosphériques, aux concentrations courantes dans beaucoup de villes américaines, est associée à un déclin cognitif plus rapide chez les femmes âgées de soixante-dix à quatre-vingt-un ans (www.alzinfo.org, juillet 2012 ; Archives of Internal Medicine, 13 février et 9 juillet 2012).

Or la pollution atmosphérique est un facteur sur lequel la société peut intervenir à travers des politiques de régulation et la technologie. De la même façon, le devoir de procurer aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer un environnement « soutenant » (a nurturing place : un endroit où l’on prendra soin d’elles et où elles se sentiront en sécurité) s’impose aux urbanistes, aux architectes, aux responsables politiques. Un cabinet d’architecture américain fournit ainsi une sorte de cahier des charges pour les bâtisseurs : besoins de la personne en termes physiques, sociaux et spirituels ; besoins en interface avec l’environnement, la famille, les amis, les autres résidents ; « renforcement de l’autonomie et de la vie active ; lieux de soins palliatifs ; lieux adaptés à des programmes porteurs de sens et de réussite » (Journal of Interior Design, septembre 2012).

C’est un objectif de cet ordre que se propose le plan national Bien Vieillir, dont Jean-Pierre Aquino, conseiller technique de la Fondation Médéric Alzheimer, préside le comité de pilotage. « Il faut mettre en place, écrit-il, une lutte contre l’exclusion sociale et l’isolement. Les actions intergénérationnelles représentent un levier efficace pour y parvenir. Ces actions conduisent à reconnaître l’autre et à le respecter, à procéder à une transmission de savoir ou d’expérience et à jouer sur la solidarité » (L’Officiel des Aînés, 2012).

Ainsi se dessine peu à peu, dans la définition d’une stratégie et dans la pratique quotidienne, une véritable éthique du combat contre la maladie d’Alzheimer.

Cela commence au jour le jour par une vigilance accrue contre ce que la Haute autorité de santé (HAS) appelle « la maltraitance ordinaire » : celle qui est liée à des comportements individuels (ne pas entendre ce que disent les personnes malades et leurs proches, parler entre professionnels en faisant semblant d’ignorer leur présence dans la pièce … ) comme celle qui procède de l’organisation elle-même (mise à distance des proches, manque de disponibilité des professionnels …. ). La maltraitance, rappelle la HAS, concerne particulièrement le non-respect de trois droits du patient : l’accès à l’information, le soulagement de la douleur, le respect de la dignité (www.has-sante.fr, 21 juin).

Pour certains soignants, la méthode Montessori, conçue à l’origine pour l’éducation des enfants, fournit aujourd’hui d’excellents principes pour l’accompagnement des adultes atteints de la maladie d’Alzheimer. « Désormais, plutôt que de compenser la perte d’autonomie en faisant « à la place de », écrit le docteur Armaingaud, nous regardons ce que la personne est encore capable de faire. Les pratiques professionnelles ont été remises en question : la communication non verbale a repris ses droits et les solutions sont personnalisées selon les résidents. En changeant de regard sur la personne, on change de regard sur son comportement » (Géroscopie pour les décideurs en gérontologie, juillet-août 2012).

Pas seulement le regard du soignant sur la personne malade, mais celui de toute la société sur la vieillesse : « Les gens nous demandent : « à quoi ça sert ? », nous disent : « ça ne vaut plus le coup », écrit le docteur Godefroy Hirsch, ancien président de la Société française de soins palliatifs. « Aujourd’hui nous sommes très sensibles à la performance, au potentiel.  Dans ce contexte, quelle place réserve-t-on aux vieux ? Certains ont du mal à trouver du sens » (www.lacroix.com, 22 août).

Face à la maladie d’Alzheimer, écrit Alain Cordier, membre du Comité consultatif national d’éthique, « nous  voici terrassés, voire anéantis par cette entière et totale altérité (…) Et pourtant là, quand toute espérance semble à jamais remisée, surgit en notre intime, sans que nous y prenions garde (…) le retournement majeur qui vaut signe de notre humanité, lorsque le faible s’impose au fort, lorsque l’homme couché oblige l’homme debout, lorsque l’autre nous appelle et nous convoque » (www.espace-ethique-alzheimer.org, août 2012).

Jacques Frémontier
Journaliste bénévole