Redoutable
Édito
Le 21 septembre est, chaque année, pour toute la planète Alzheimer, une date parfois redoutable : il faut présenter des bilans, aligner des chiffres, annoncer – si possible – des perspectives encourageantes, des initiatives inédites. Les enjeux s’alourdissent encore lorsqu’une alternance politique donne davantage de champ à la critique du passé, mais aussi – espérons-le – à l’imagination du futur.
L’échéance 2012 n’échappe donc pas à cette double figure imposée, d’autant plus contraignante que s’approche tout justement la date d’achèvement du troisième Plan Alzheimer : quels résultats ? Quelles nouvelles attentes ?
Lancé par Nicolas Sarkozy en février 2008, le plan Alzheimer 2008-2012, doté de 1.6 milliards d’euros, était articulé autour de trois volets : le soin, l’accompagnement et la recherche. Son successeur, François Hollande, qui a reçu le 21 septembre les membres du comité de suivi, a plus particulièrement retenu un certain nombre d’avancées : les Maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer (MAIA), qui permettent à la personne malade et à son entourage de « pouvoir être compris, de pouvoir être guidé dans un chemin douloureux qui est souvent long, très long, interminable » ; une meilleure prise en compte des aidants ; l’accent mis sur la formation de tous les personnels ; la mobilisation des chercheurs.
En clôture de la réunion, le président de la République a annoncé la prolongation du plan au-delà de 2012 et son évaluation pour en améliorer l‘efficacité, ainsi que son élargissement aux maladies neurodégénératives (www.elysee.fr, 21 septembre 2012).
La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, en a profité pour saluer les résultats « remarquables » des équipes françaises qui « ont permis de mettre en évidence de nouveaux déterminants génétiques de la maladie ». Elle a insisté sur la nécessité de développer des recherches sur le diagnostic précoce et la mise au point de traitements (www.enseignementsup-recherche.gouv.fr, 21 septembre 2012).
L’Union France Alzheimer s’est exprimée le même jour dans un registre évidemment moins convenu : elle alerte sur « le décalage entre les objectifs initiaux en termes de créations de places et de structures d’accompagnement et de répit et leur réalisation effective sur le terrain » : huit cents places d’hébergement temporaire sur cinq mille huit cents prévues, cent soixante-sept équipes spécialisées Alzheimer sur cinq cents, moins de cinq mille places d’accueil de jour sur onze mille. Pour l’Union, un « frein considérable » se situe au niveau des Agences régionales de la santé, qui ont sous-utilisé les financements alloués : sur 1.6 milliards d’euros budgétés, seuls trois cent soixante-dix millions avaient été réellement dépensés fin 2011. En juillet 2012, seuls 10% du financement avaient été engagés pour la mesure 16 (création des pôles d’activités et de soins adaptés et des unités d’hébergement renforcé), qui concentrait la moitié du budget du plan (www.francealzheimer.org, Le Quotidien du Médecin, 21 septembre 2012).
Face à ce bilan en demi-teinte, le gouvernement tente de marquer une certaine différence. C’est ainsi que Michèle Delaunay, ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’autonomie, écarte « définitivement », à l’inverse de ses prédécesseurs, tout recours même partiel au secteur de l’assurance pour financer la réforme de la dépendance, si souvent annoncée et toujours remise depuis cinq ans : cette réforme, prévue « sauf incident social ou politique majeur dans la première moitié du quinquennat », serait « basée sur la solidarité nationale », sans création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale. Elle s’articulerait autour de trois axes : la prévention, l’ « adaptation de la société », notamment avec la mise aux normes de quatre-vingt mille logements par an, et l’ « accompagnement des personnes en lourde perte d’autonomie » (www.agevillagepro.com, 10 septembre 2012). Si l’Association des directeurs au service des personnes âgées juge « positive » une telle position, il va sans dire que les assureurs mutualistes se déclarent d’ores et déjà plus sceptiques (www.cbanque.com, 10 septembre 2012 ; www.rikassur-hebdo.com, www.news-assurances.com, 11 septembre 2012).
En attendant la mise au point d’un projet de loi, la ministre entend promouvoir sur le terrain, sur le modèle de la plateforme d’évaluation du gérontopôle de Toulouse, le repérage des fragilités, ainsi que la prévention de la perte d’autonomie et de la dépendance iatrogène induite par des prises en charge inappropriées (Actualités sociales hebdomadaires, 14 septembre 2012).
Sur le plan de l’éthique, la continuité semble, au premier abord, mieux assurée. François Hollande met en avant « la dignité des personnes, celles-là même qui sont diminuées, affectées dans ce qu’il y a de plus essentiel, c’est-à-dire la mémoire, les souvenirs, la capacité de se repérer dans le temps, la reconnaissance de leurs proches, de leurs familles… ». Il insiste sur la singularité de chaque itinéraire de vie, sur la priorité donnée au maintien à domicile, sur « la meilleure façon de donner à chacune des personnes malades la capacité de vivre pleinement un destin contrarié ». Mais le chef de l’Etat rompt, sur un point précis, avec la philosophie de son prédécesseur, qui s’en tenait résolument à l’application pleine et entière de la loi Leonetti, lorsqu’il entend ouvrir une réflexion sur les directives anticipées, c’est-à-dire « les décisions données par une personne qui se sait touchée par une maladie évolutive et qui, encore consciente et disposant de son jugement, entend transmettre une volonté : comment respecter cette décision, comment analyser le moment où elle intervient ? Est-ce un moment de lucidité ou est-ce un moment de faiblesse ? » Et de proposer que les réflexions éthiques engagées dans le cadre du plan Alzheimer 2008-2012 permettent de nourrir les travaux de la commission Sicard sur la fin de vie (www.elysee.fr, 21 septembre 2012).
On peut imaginer que l’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer (EREMA) sera appelé à participer aux débats de cette commission. Sur le principe de la dignité de la personne malade au moins, le consensus ne sera pas difficile à obtenir. Trois convictions animent l’ensemble des actions menées par l’EREMA : les personnes malades elles-mêmes devraient être « les principaux acteurs de leur histoire et de leur vie avec la maladie » ; ceux qui sont « en première ligne » dans l’accompagnement des personnes malades « doivent être reconnus et soutenus par la société, car ils font vivre cette exigence de solidarité sans laquelle notre société ne serait plus une société humaine » ; la maladie et ses conséquences multiples exigent « une approche globale et une mobilisation de tous les acteurs de la société ». Et d’en tirer sept conclusions, parmi lesquelles « une approche du soin qui tienne compte de la personne dans sa globalité et dans son interaction permanente avec son environnement familial et social » ; ou encore « une forme de reconnaissance officielle de la mission d’aidant », y compris pour valoriser des compétences spécifiques et faciliter, en bénéficiant d’une formation, d’une éventuelle réinsertion professionnelle (www.espace-ethique-alzheimer.org, 21 septembre 2012).
Peut-être qu’un seul mot, – un verbe -, résumerait assez bien l’ensemble de ces impératifs : individualiser. Il n’y a pas de prêt-à-porter de la maladie d’Alzheimer, il n’y a que du sur-mesure. Prenons un exemple concret : le programme Eval’zheimer de la Fondation Médéric Alzheimer a mené une étude sur l’accompagnement de nuit en unité spécifique. Afin de respecter les rythmes des résidents, il est intéressant de les laisser se coucher à l’heure qu’ils souhaitent ou lorsqu’ils présentent de signes de fatigue évidents. De même, l’accompagnement des levers se déroule d’autant mieux s’il se fait au cas par cas (Soins Gérontologie, septembre-octobre 2012).
L‘aide aux aidants relève de la même nécessité. L’association parisienne OSE (Œuvre de secours aux enfants) a inauguré, au centre de jour Joseph-Weill, un dispositif d’évaluation individuelle à domicile des besoins de l’aidant. La réponse est adaptée à chaque cas : pour l’un, ce sera un « forfait marché » de trois heures pendant lequel l’aidant pourra s’absenter ; pour l’autre, ce pourrait être l’appui d’une conseillère en économie sociale et familiale pour l’aider à retrouver ensuite un travail à temps complet… (Géroscopie pour les décideurs en gérontologie, septembre 2012).
Tous des Je, des Moi, des Moi je, des individus avec un prénom, un nom, une identité, une histoire de vie, une famille… A l’Université d’été d’Aix en Provence, organisée par l’EREMA, Blandine Prévost a exprimé sa crainte qu’on l’enferme désormais dans le rôle de la malade qui témoigne : « avant d’être une malade de plus, je suis avant tout une personne, complètement, entièrement. Comme chacun d’entre vous, j’ai des rêves, et par-dessus tout j’aime la vie. Certes je présente une particularité, une petite distinction, un petit plus…, une foutue maladie qui va peu à peu me faire disparaître à vos yeux, peu à peu, on va parler de moi en ma présence, sans même avoir la décence de me consulter ou de baisser la voix, on m’animera, on m’infantilisera. Car je vais disparaître derrière cette maladie (…) Il est difficile de garder à l’esprit que derrière le malade, il reste une personne » (www.liberation.fr, 20 septembre 2012. www.lemonde.fr, 21 septembre 2012. Gzil F et Hirsch E, Alzheimer, éthique et société, septembre 2012).
Jacques Frémontier
Journaliste bénévole