L’impact des mots
Société inclusive
Démence ? « En entretien, en réunion de familles, parfois en présence de la personne malade, cela se traduit ainsi : “Oh ! vous savez, on ne lui parle plus il n’y a rien à en tirer. D’ailleurs, le docteur l’a dit, c’est de la démence ; il faudra le placer plus tard » ». Ou bien : « vous vous rendez compte ? ils ont dit qu’il était dément ! Il oublie seulement beaucoup, d’ailleurs il joue encore au bridge ». Ce mot, entendu beaucoup trop tôt, risque fort de détourner l’attention du proche, aujourd’hui, de la personne malade, la projetant vers le dément qu’il deviendra plus tard. Comment cet autre imaginé, non encore advenu, dont le réel est nié, peut-il se sentir sujet ? » écrit Claire Demerliac, de l’Association Alzheimer Le Havre-Pays-de-Caux. Faire une fugue ? « Qui peut soutenir qu’une femme de la campagne, sortie en pleine nuit de sa chambre sous la pluie pour faire deux kilomètres à pieds avant de trouver une maison éclairée où elle a frappé, a “fait une fugue” ? Ce mot insupportable », pour cette épouse téléphonant à une association pour chercher en fait du secours parce que son mari, sorti l’après-midi, n’était revenu qu’au milieu de la nuit accompagné par la police municipale : « Ah, je vois ! Votre mari fait des fugues ! ». Sa fille nous a téléphoné du Tarn pour dire à quel point sa mère était révoltée qu’on lui ait ainsi parlé de fugue : « Si France Alzheimer emploie des mots aussi inexacts, chez qui ira-t-on demander de l’aide ? » m’a-t-elle interrogée en me croyant responsable. Ce mot « fugue » est porteur, entre autre, d’une représentation délictueuse : c’est un mot de la délinquance avec lequel on avait, en quelque sorte, accusé son père. J’entends encore cette jeune femme, du Pays de Caux, accompagnée de ses deux frères : « Ils ont dit qu’ils l’avaient enfermée pour qu’elle ne fugue plus. Mais notre mère a envie de se promener comme nous. D’ailleurs, je ne crois pas que c’est le bon mot. Mais, c’est le mot qu’ils ont dit, alors forcément, moi, je le répète. Il y a sûrement un autre mot, Madame, parce que ce n’est pas ça une fugue, ce n’est pas une fugue quand on veut se promener ! ».
Demerliac C. Éthique et impact des mots sur la personne atteinte d’Alzheimer et son aidant familial. www.espace-ethique.org/ressources/article/%C3%A9thique-et-impact-des-mots-sur-la-personne-atteinte-dalzheimer-et-son-aidant, 3 mars 2014.