« Quotidien carcéral »
Société inclusive
« Combien d’aidants ne vivent plus qu’avec l’énergie du désespoir ? », titre Jean-Louis Bertault, de L’Express. La journaliste Marie-Claude Llosa raconte un après-midi passé avec une amie qui porte à bout de bras son mari atteint de la maladie d’Alzheimer, dans un isolement total. « Sur le pas de la porte, j’étais saisie par cette image : deux personnes malades, l’une veillant sur l’autre avec de pauvres moyens, des forces qui les ont abandonnées. Il ne reste pour elle que l’énergie du désespoir. Même malade et ne tenant plus debout, elle s’occupait quand même de son mari qui erre, qui ne sait plus rien faire, qu’il faut porter à bout de bras. J’ai reçu cette vision comme un coup de poing dans l’estomac. Et combien d’aidants dans son cas ? Il faisait à peine chaud dans sa maison, je suis restée un moment avec elle. Lorsque j’ai voulu prendre congé pour ne pas la fatiguer, elle m’a dit : “Reste, je t’en prie, reste, cela me fait tellement plaisir de parler à quelqu’un.” Bien sûr, parler à quelqu’un. Elle n’a personne, l’isolement total. Seule l’infirmière qui vient faire la toilette à son mari tous les matins brise ce quotidien carcéral. » « Alors je lui ai raconté la vie dehors », poursuit la journaliste. « Je lui ai parlé de nos ciels d’orage, ces champs inondés comme si les écluses du ciel s’étaient ouvertes, je lui ai dit que les mimosas près de l’océan commençaient à fleurir, que les jours s’allongeaient, qu’ils étaient une promesse de meilleur… Elle buvait mes paroles. Comme un détenu en prison qui reçoit des nouvelles de la vie hors des murs. Nous avons passé plus d’une heure ensemble. Ses yeux étaient brûlants de fièvre, et pourtant, lorsque je l’ai quittée, j’y ai vu une autre lueur briller, comme celle que je vois lorsque je garde son mari et qu’elle peut s’échapper, celle lumière étrange dans le regard : la lueur de la vie. »