« Ces proches, souvent eux aussi âgés, qui se transforment peu ou prou en infirmiers »
Société inclusive
Le Journal de Saône-et-Loire titre « La maladie d’Alzheimer est lourde à vivre pour ceux que l’on appelle les aidants. Ces proches, souvent eux aussi âgés, qui se transforment peu ou prou en infirmiers ». Jacques « sourit, l’œil un peu vide, assis au creux d’un fauteuil. Anne-Marie se lève lourdement. Elle sourit sous ses cheveux blancs bien coiffés, engoncée dans son corps de quatre-vingts ans, droit des épaules aux hanches, et va vers la cuisine. Jacques dit en confidence, l’œil allumé soudain : “Elle est partie ? Elle est là tout le temps. Elle est gentille mais un peu collante” » Anne-Marie revient. Après près de soixante ans de mariage, depuis quelques années, elle s’inquiète du changement de personnalité de son mari, qui pose des questions sur des choses qu’il devrait savoir. « Au début, je riais, je me moquais de lui. Et quelquefois je me mettais en colère quand il ne comprenait pas. Je ne le croyais pas. » Elle raconte qu’elle s’en veut maintenant. « il tombait souvent aussi. Au début, j’ai cru qu’il trébuchait. Qu’il voyait mal. Ça va un peu mieux maintenant, dit—elle. Mais la tête, par contre… » Le pire, explique Anne-Marie, c’est d’espérer sans cesse. Parce qu’au début, « il oubliait puis il se souvenait. ». Aujourd’hui, il peut avoir une conversation parfaitement normale puis soudain « s’évader » quelques instants, avant de revenir au réel. Comme un trou d’air soudain. Des trous qui vont en s’accentuant, qui prennent de plus en plus de place. « En fait, je ne dors plus beaucoup. Il se lève la nuit. L’autre jour, il voulait se faire de la tisane. Il a mis ses lunettes dans la casserole. Il a dû penser à autre chose, je ne sais pas. » Elle raconte et la voix se brise par instants : « j’espère que je vais tenir. Je suis un peu fatiguée. « Anne-Marie s’occupe seule de Jacques. Elle l’emmène faire des courses. Il préfère rester à la maison, il est plus à l’aise. Mais je ne peux pas le laisser seul. Et il faut bien que je sorte pour acheter à manger. » On lui parle des possibilités d’accompagnement, des cafés Alzheimer. Elle s’arrête un instant sur l’idée, un espoir dans la voix : « il y a d’autres gens comme moi ? » Elle soupire puis dit encore : « C’est ça ma vie, maintenant. »
Le Journal de Saône-et-Loire, 20 mai 2014.