Dévalorisation par les mots (1)
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
Pour Laurence Hugonot-Diener, psycho-gériatre à l’hôpital Broca de Paris, « il est des mots qui affolent, notamment celui de “démence”. Évoquer même une “démence probable” tend à affoler les entourages. Je ne suis pas seule à partager le sentiment que certains mots terrorisent plus qu’ils n’ouvrent à l’échange. » Pour Armelle Debru, professeur d’histoire de la médecine à l’Université Paris-Descartes, une des raisons de dévalorisation est « la contamination entre un sens spécialisé et un sens commun connoté négativement. Il n’y a pas de risque dans le cas où un mot spécialisé, médical, n’a pas d’équivalent dans le langage commun » : épileptique, par exemple, n’a pas d’équivalent dans la langue ordinaire, de même tuberculeux ou diabétique… En revanche, l’histoire de certaines spécialités est pleine de désignations ambivalentes parce qu’appartenant à deux langages. La frontière des significations est poreuse, la connotation est toujours négative. C’est le cas de « dément » et de « démence », dont le synonyme de la langue ordinaire : est « fou, délirant, cinglé. » Un autre mécanisme est celui de la dépersonnalisation, aggravée par l’infantilisation, dans les cas d’Alzheimer ou de gériatrie. En effet, explique Armelle Debru, toute institution tend à une emprise en désignant d’un terme collectif les individus qu’elle accueille : la notion d’individu ou de personne va subir une ellipse, de plusieurs manières. Par exemple, une opération fréquente de langage consiste à transformer le déterminant en substantif : les personnes entrantes devient les “entrants”, de même : “patients” est utilisé pour toute personne autre que les soignants entrant dans une institution de soin ; on utilise la troisième personne : “conduisez le/la…”. Le langage (exclusif) de l’injonction, appauvrit et infantilise : « venez, asseyez-vous, mangez, etc. » Pour Armelle Debru, il n’y a pas d’intention de dénigrement, mais une recherche de raccourcis commodes et fonctionnels. « Pourtant, il y a écrasement de l’individualité à ce niveau, dépersonnalisation. Pour éviter ces connotations involontaires et conserver le seul sens médical, les psychiatres ont constamment changé les noms : les “fous” deviennent “aliénés”, puis “malades mentaux”. Actuellement pour “dément”, on fait parfois appel à “personnes désorientées”, dont la connotation se veut neutre. On ne peut pas supprimer toute référence à la langue ordinaire. De plus, les mots ont une histoire, ils vivent et meurent, et d’autres apparaissent. »
Debru A. À propos de la dévalorisation par les mots dans la maladie d’Alzheimer. www.espace-ethique.org/ressources/article/propos-de-la-d%C3%A9valorisation-par-les-mots-dans-la-maladie-dalzheimer, 3 mars 2014.