Étranger de toutes parts : les enjeux de la migration chez la personne âgée
Acteurs de l'écosystème Alzheimer
« La personne qui émigre, si elle souhaite réussir, est soumise aux multiples processus organisant l’adaptation à son nouvel environnement de vie, ainsi qu’à un juste détachement de son environnement d’origine. Le cas de la personne d’âge avancé est particulier. Il l’est par la rareté de la migration à cet âge et par le terrain psychologique à part qu’il représente », écrivent Christian Eyoum, psychiatre à l’hôpital Jamot de Yaoundé (Cameroun) et ses collègues du CHU de Clermont-Ferrand. « Beaucoup de migrants nourrissent tout au long de leur vie l’espoir de retourner un jour vivre dans leur pays d’origine une fois fortune faite. » « La migration, par la rupture du cadre externe qu’elle implique, entraîne par ricochet une rupture au niveau du cadre culturel intériorisé par le sujet », qui « vit ainsi un ensemble de traumatismes agissant finalement sur le vécu de son processus migratoire. Les “traumatismes” n’entraînent pas forcément des effets pathogènes : ils sont parfois structurants, porteurs d’une dynamique nouvelle pour le sujet. » Pour les chercheurs, « le vieillissement en situation migratoire pose plusieurs questions dont celle du bilan de vie migratoire, celle du lieu d’inhumation, proche ou loin de ses ancêtres, tout ceci dans un double contexte de privation (pas de modèle identificatoire de vieillissement et faiblesse des mécanismes psychiques d’adaptation). Le traitement social réservé à “l’âgé” dans la société d’accueil n’est en outre pas toujours le même que dans la société d’origine. Très peu de migrations débutant à l’âge avancé sont rapportées dans la littérature. Face à la question du retour ou non dans leur pays d’origine, certains migrants se retrouvent en situation de “transmigration”, phénomène pseudo-déambulatoire entre le pays d’accueil (où souvent s’est déroulée la jeunesse) et le pays d’origine (où a pris place l’enfance). Le sujet se retrouve étranger de toutes parts, non seulement dans sa famille (dont il a perdu les habitudes et parfois même les représentations), mais aussi dans son espace d’accueil où il n’a jamais véritablement terminé son insertion. » Quant à l’enterrement en terre étrangère, « dans la terre de la chaîne des générations », il risque « soit de rompre définitivement les liens avec sa famille restée au pays, soit de rompre totalement avec la terre des ancêtres ». Il existe dans ce cas des « “bricolages rituels” (crémation visant à rapatrier les cendres au pays d’origine quand bien même la religion prescrit plutôt l’inhumation, rapatriement symbolique par le biais de la valise mortuaire. »
Eyoum C et al. « S’il vous plaît, je ne voudrais pas mourir ici » : réflexions sur les enjeux de la migration chez l’âgé. Neurologie Psychiatrie Gériatrie 2014 ; 14 : 214-220. Août 2014. www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1627483014000415.